Descriptions Siegfried et le Limousin Télécharger
Hippolyte Jean GiraudouxN 1 est un écrivain2 et un diplomate français, né le 29 octobre 1882 à Bellac dans la Haute-Vienne et mort le 31 janvier 1944 (à 61 ans) à Paris.
Extrait: C’était en janvier 1922. Déjà les civils avaient achevé d’user tout ce qui leur avait été laissé par l’Intendance de leurs vêtements de la guerre, les derniers uniformes rouge et noir qui leur restaient d’avant 1914, et leur couleur dans la vie était désormais définitive. Mais les diplomates s’épuisaient encore à placer, alternativement dans un ciel ensoleillé et dans un ciel brumeux, à Cannes puis à Boulogne, à Gênes puis à La Haye, une clef de voûte pour l’Europe. Je lisais chaque jour les journaux allemands, dans l’espoir d’ailleurs toujours déçu d’y trouver un mot, un seul mot aimable ou juste à l’adresse d’un Français, fût-ce de Français internationaux comme Jeanne d’Arc et Cachin, ou d’une région de la France, fût-elle indivise entre la France et d’autres nations, comme le pays basque ou catalan, lorsqu’un matin je fus arrêté net dans ma lecture par un passage de la Frankfurter Zeitung… Le voici, dans la traduction que j’en pris aussitôt :
… Élisabeth de Bavière et l’empereur voulurent se baigner dans le Königsee et Adélaïde leur trouva des maillots, d’ailleurs mangés aux mites. Comme les souverains déshabillés arrivaient au lac, deux jeunes gens sortaient de l’eau, et c’était, en costume aussi délabré, leur fils Rudolf avec Dora Winzer l’actrice. Chacune des femmes observait l’autre par les trous du tricot comme par un trou de serrure. L’empereur et l’archiduc n’ayant que des caleçons, on voyait le cœur impérial battre deux fois plus vite que le cœur princier. Le couple jeune était ruisselant, avec des épaules gommées, dont le soleil, s’il y était une fois pris, ne pouvait plus se détacher, et des membres qui continuaient à s’allonger dans l’air comme dans l’eau du bain. Le couple âgé terne et tout sec, d’une sécheresse telle qu’elle en paraissait morale, et il se hâta d’entrer dans le lac comme dans une eau qui rajeunit…
J’avais de bonnes raisons pour être frappé par ces phrases : je les connaissais. Je les avais lues voilà dix ans, un jour qu’elles étaient nouvellement nées et françaises, dans un récit dont l’auteur était mon ami Forestier, disparu pendant la guerre. Mais ce qui m’étonnait, ce n’était pas de voir un journaliste démarquer un texte qu’il pouvait croire oublié. C’était que son article, si j’exceptais le plagiat, contînt ce que j’avais trouvé de plus impartial et de plus élevé, à beaucoup près, depuis qu’avait commencé ma revue de presse allemande. Pour prétendre, le 3 janvier 1922, que c’était dans la quinzaine après la visite de Gobineau que Nietzsche avait écrit pour la première fois le mot Surhomme, Wagner le mot Parsifal, et qu’Élisabeth de Bavière avait conçu son cirque, il fallait à un critique de Francfort une âme peu commune. La langue de l’auteur aussi me semblait originale, il y faisait un usage presque neuf pourl’Allemagne de la litote et de la paraphrase, et non moins originale la modestie avec laquelle il signait de trois initiales qui ne me permirent pas de bâtir sur elles un nom connu : S. V. K. Ces dernières constatations s’accordaient mal avec l’hypothèse d’un plagiat ou d’un vol, et, l’après-midi, je demandai à la Nationale cette revue où j’avais lu à sa naissance la nouvelle de Forestier… Je ne m’étais pas trompé : la description du bain était la même, avec quelque chose cependant de moins guindé et de plus radieux, bien que son premier auteur fût mort et le second vivant. Un père et un fils brouillés se retrouvaient à la baignade :Hippolyte Jean GiraudouxN 1 est un écrivain2 et un diplomate français, né le 29 octobre 1882 à Bellac dans la Haute-Vienne et mort le 31 janvier 1944 (à 61 ans) à Paris.
Extrait: C’était en janvier 1922. Déjà les civils avaient achevé d’user tout ce qui leur avait été laissé par l’Intendance de leurs vêtements de la guerre, les derniers uniformes rouge et noir qui leur restaient d’avant 1914, et leur couleur dans la vie était désormais définitive. Mais les diplomates s’épuisaient encore à placer, alternativement dans un ciel ensoleillé et dans un ciel brumeux, à Cannes puis à Boulogne, à Gênes puis à La Haye, une clef de voûte pour l’Europe. Je lisais chaque jour les journaux allemands, dans l’espoir d’ailleurs toujours déçu d’y trouver un mot, un seul mot aimable ou juste à l’adresse d’un Français, fût-ce de Français internationaux comme Jeanne d’Arc et Cachin, ou d’une région de la France, fût-elle indivise entre la France et d’autres nations, comme le pays basque ou catalan, lorsqu’un matin je fus arrêté net dans ma lecture par un passage de la Frankfurter Zeitung… Le voici, dans la traduction que j’en pris aussitôt :
… Élisabeth de Bavière et l’empereur voulurent se baigner dans le Königsee et Adélaïde leur trouva des maillots, d’ailleurs mangés aux mites. Comme les souverains déshabillés arrivaient au lac, deux jeunes gens sortaient de l’eau, et c’était, en costume aussi délabré, leur fils Rudolf avec Dora Winzer l’actrice. Chacune des femmes observait l’autre par les trous du tricot comme par un trou de serrure. L’empereur et l’archiduc n’ayant que des caleçons, on voyait le cœur impérial battre deux fois plus vite que le cœur princier. Le couple jeune était ruisselant, avec des épaules gommées, dont le soleil, s’il y était une fois pris, ne pouvait plus se détacher, et des membres qui continuaient à s’allonger dans l’air comme dans l’eau du bain. Le couple âgé terne et tout sec, d’une sécheresse telle qu’elle en paraissait morale, et il se hâta d’entrer dans le lac comme dans une eau qui rajeunit…
J’avais de bonnes raisons pour être frappé par ces phrases : je les connaissais. Je les avais lues voilà dix ans, un jour qu’elles étaient nouvellement nées et françaises, dans un récit dont l’auteur était mon ami Forestier, disparu pendant la guerre. Mais ce qui m’étonnait, ce n’était pas de voir un journaliste démarquer un texte qu’il pouvait croire oublié. C’était que son article, si j’exceptais le plagiat, contînt ce que j’avais trouvé de plus impartial et de plus élevé, à beaucoup près, depuis qu’avait commencé ma revue de presse allemande. Pour prétendre, le 3 janvier 1922, que c’était dans la quinzaine après la visite de Gobineau que Nietzsche avait écrit pour la première fois le mot Surhomme, Wagner le mot Parsifal, et qu’Élisabeth de Bavière avait conçu son cirque, il fallait à un critique de Francfort une âme peu commune. La langue de l’auteur aussi me semblait originale, il y faisait un usage presque neuf pourl’Allemagne de la litote et de la paraphrase, et non moins originale la modestie avec laquelle il signait de trois initiales qui ne me permirent pas de bâtir sur elles un nom connu : S. V. K. Ces dernières constatations s’accordaient mal avec l’hypothèse d’un plagiat ou d’un vol, et, l’après-midi, je demandai à la Nationale cette revue où j’avais lu à sa naissance la nouvelle de Forestier… Je ne m’étais pas trompé : la description du bain était la même, avec quelque chose cependant de moins guindé et de plus radieux, bien que son premier auteur fût mort et le second vivant. Un père et un fils brouillés se retrouvaient à la baignade :
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Hippolyte Jean GiraudouxN 1 est un écrivain2 et un diplomate français, né le 29 octobre 1882 à Bellac dans la Haute-Vienne et mort le 31 janvier 1944 (à 61 ans) à Paris.
Extrait: C’était en janvier 1922. Déjà les civils avaient achevé d’user tout ce qui leur avait été laissé par l’Intendance de leurs vêtements de la guerre, les derniers uniformes rouge et noir qui leur restaient d’avant 1914, et leur couleur dans la vie était désormais définitive. Mais les diplomates s’épuisaient encore à placer, alternativement dans un ciel ensoleillé et dans un ciel brumeux, à Cannes puis à Boulogne, à Gênes puis à La Haye, une clef de voûte pour l’Europe. Je lisais chaque jour les journaux allemands, dans l’espoir d’ailleurs toujours déçu d’y trouver un mot, un seul mot aimable ou juste à l’adresse d’un Français, fût-ce de Français internationaux comme Jeanne d’Arc et Cachin, ou d’une région de la France, fût-elle indivise entre la France et d’autres nations, comme le pays basque ou catalan, lorsqu’un matin je fus arrêté net dans ma lecture par un passage de la Frankfurter Zeitung… Le voici, dans la traduction que j’en pris aussitôt :
… Élisabeth de Bavière et l’empereur voulurent se baigner dans le Königsee et Adélaïde leur trouva des maillots, d’ailleurs mangés aux mites. Comme les souverains déshabillés arrivaient au lac, deux jeunes gens sortaient de l’eau, et c’était, en costume aussi délabré, leur fils Rudolf avec Dora Winzer l’actrice. Chacune des femmes observait l’autre par les trous du tricot comme par un trou de serrure. L’empereur et l’archiduc n’ayant que des caleçons, on voyait le cœur impérial battre deux fois plus vite que le cœur princier. Le couple jeune était ruisselant, avec des épaules gommées, dont le soleil, s’il y était une fois pris, ne pouvait plus se détacher, et des membres qui continuaient à s’allonger dans l’air comme dans l’eau du bain. Le couple âgé terne et tout sec, d’une sécheresse telle qu’elle en paraissait morale, et il se hâta d’entrer dans le lac comme dans une eau qui rajeunit…
J’avais de bonnes raisons pour être frappé par ces phrases : je les connaissais. Je les avais lues voilà dix ans, un jour qu’elles étaient nouvellement nées et françaises, dans un récit dont l’auteur était mon ami Forestier, disparu pendant la guerre. Mais ce qui m’étonnait, ce n’était pas de voir un journaliste démarquer un texte qu’il pouvait croire oublié. C’était que son article, si j’exceptais le plagiat, contînt ce que j’avais trouvé de plus impartial et de plus élevé, à beaucoup près, depuis qu’avait commencé ma revue de presse allemande. Pour prétendre, le 3 janvier 1922, que c’était dans la quinzaine après la visite de Gobineau que Nietzsche avait écrit pour la première fois le mot Surhomme, Wagner le mot Parsifal, et qu’Élisabeth de Bavière avait conçu son cirque, il fallait à un critique de Francfort une âme peu commune. La langue de l’auteur aussi me semblait originale, il y faisait un usage presque neuf pourl’Allemagne de la litote et de la paraphrase, et non moins originale la modestie avec laquelle il signait de trois initiales qui ne me permirent pas de bâtir sur elles un nom connu : S. V. K. Ces dernières constatations s’accordaient mal avec l’hypothèse d’un plagiat ou d’un vol, et, l’après-midi, je demandai à la Nationale cette revue où j’avais lu à sa naissance la nouvelle de Forestier… Je ne m’étais pas trompé : la description du bain était la même, avec quelque chose cependant de moins guindé et de plus radieux, bien que son premier auteur fût mort et le second vivant. Un père et un fils brouillés se retrouvaient à la baignade :Hippolyte Jean GiraudouxN 1 est un écrivain2 et un diplomate français, né le 29 octobre 1882 à Bellac dans la Haute-Vienne et mort le 31 janvier 1944 (à 61 ans) à Paris.
Extrait: C’était en janvier 1922. Déjà les civils avaient achevé d’user tout ce qui leur avait été laissé par l’Intendance de leurs vêtements de la guerre, les derniers uniformes rouge et noir qui leur restaient d’avant 1914, et leur couleur dans la vie était désormais définitive. Mais les diplomates s’épuisaient encore à placer, alternativement dans un ciel ensoleillé et dans un ciel brumeux, à Cannes puis à Boulogne, à Gênes puis à La Haye, une clef de voûte pour l’Europe. Je lisais chaque jour les journaux allemands, dans l’espoir d’ailleurs toujours déçu d’y trouver un mot, un seul mot aimable ou juste à l’adresse d’un Français, fût-ce de Français internationaux comme Jeanne d’Arc et Cachin, ou d’une région de la France, fût-elle indivise entre la France et d’autres nations, comme le pays basque ou catalan, lorsqu’un matin je fus arrêté net dans ma lecture par un passage de la Frankfurter Zeitung… Le voici, dans la traduction que j’en pris aussitôt :
… Élisabeth de Bavière et l’empereur voulurent se baigner dans le Königsee et Adélaïde leur trouva des maillots, d’ailleurs mangés aux mites. Comme les souverains déshabillés arrivaient au lac, deux jeunes gens sortaient de l’eau, et c’était, en costume aussi délabré, leur fils Rudolf avec Dora Winzer l’actrice. Chacune des femmes observait l’autre par les trous du tricot comme par un trou de serrure. L’empereur et l’archiduc n’ayant que des caleçons, on voyait le cœur impérial battre deux fois plus vite que le cœur princier. Le couple jeune était ruisselant, avec des épaules gommées, dont le soleil, s’il y était une fois pris, ne pouvait plus se détacher, et des membres qui continuaient à s’allonger dans l’air comme dans l’eau du bain. Le couple âgé terne et tout sec, d’une sécheresse telle qu’elle en paraissait morale, et il se hâta d’entrer dans le lac comme dans une eau qui rajeunit…
J’avais de bonnes raisons pour être frappé par ces phrases : je les connaissais. Je les avais lues voilà dix ans, un jour qu’elles étaient nouvellement nées et françaises, dans un récit dont l’auteur était mon ami Forestier, disparu pendant la guerre. Mais ce qui m’étonnait, ce n’était pas de voir un journaliste démarquer un texte qu’il pouvait croire oublié. C’était que son article, si j’exceptais le plagiat, contînt ce que j’avais trouvé de plus impartial et de plus élevé, à beaucoup près, depuis qu’avait commencé ma revue de presse allemande. Pour prétendre, le 3 janvier 1922, que c’était dans la quinzaine après la visite de Gobineau que Nietzsche avait écrit pour la première fois le mot Surhomme, Wagner le mot Parsifal, et qu’Élisabeth de Bavière avait conçu son cirque, il fallait à un critique de Francfort une âme peu commune. La langue de l’auteur aussi me semblait originale, il y faisait un usage presque neuf pourl’Allemagne de la litote et de la paraphrase, et non moins originale la modestie avec laquelle il signait de trois initiales qui ne me permirent pas de bâtir sur elles un nom connu : S. V. K. Ces dernières constatations s’accordaient mal avec l’hypothèse d’un plagiat ou d’un vol, et, l’après-midi, je demandai à la Nationale cette revue où j’avais lu à sa naissance la nouvelle de Forestier… Je ne m’étais pas trompé : la description du bain était la même, avec quelque chose cependant de moins guindé et de plus radieux, bien que son premier auteur fût mort et le second vivant. Un père et un fils brouillés se retrouvaient à la baignade :
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